Lettres Au Vent

03/09/2006

Insomnies 2

Enregistré dans : — Nono @ 10:58

Une voix dans la nuit.

 

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La nuit était tombée sur le village de Garn Halfaya. L’esprit agité par la découverte du cadavre, du collier et de la lampe à huile, j’étais incapable de dormir et reposais les yeux grands ouverts sur mon lit. La Lune, encore cachée derrière la colline, laissait pour le moment les étoiles libres de briller de tous leurs feux. L’atmosphère, exempte de toute pollution et humidité, était d’une transparence que nous ne connaissons malheureusement plus dans nos régions. Dans l’air froid et sec de la nuit de ces hautes steppes africaines, les étoiles scintillaient à peine et la Voie Lactée, la Galaxie dont notre Soleil n’est qu’une modeste étoile de banlieue perdue au milieu de milliards d’étoiles semblables, barrait le ciel de sa blancheur laiteuse.

Dans de telles circonstances la pensée, troublée par ces multitudes qui défient la raison, est prise d’une sorte de vertige inversé qui la fait s’envoler vers ces grands espaces, comme aspirée par le vide sidéral. Alors, même l’incroyant que je suis est tenté d’attribuer toutes ces merveilles à un Dieu qui les aurait conçues, plutôt que de croire que toutes proviennent du hasard de cette « providentielle » déflagration initiale qu’on appelle maintenant le « Big Bang ».

Puis, en quelques minutes, l’astre lunaire émergea de derrière la colline. Alors sa clarté éclipsa celles des étoiles. Le paysage pris cette teinte d’un bleu laiteux dont l’étrangeté suscite toujours la même angoisse. Il est probable que les crises de folies que les croyances populaires attribuent à la Lune viennent de l’étrangeté de cette lumière. Le « mal de lune » des contes populaires siciliens, ces êtres perturbés désignés comme « lunatiques », les loups-garous des nuits de pleine lune, autant de signes que l’homme est désarçonné lorsque son paysage familier prend ces couleurs étranges. J’ai ressenti ce même malaise mêlé d’émerveillement, bien des années plus tard, lors d’une éclipse totale de soleil. Inconsciemment on éprouve un malaise devant le paysage familier devenu tout à coup subtilement différent, et même les animaux, peu susceptibles d’avoir des « états d’âme », réagissent de façon anormale.

La lampe à huile que nous avions trouvée dans la grotte auprès du squelette était posée sur une petite commode située sous la fenêtre de ma chambre que j’avais laissée ouverte pour laisser entrer la fraîcheur de la nuit. De là où je me reposais, allongé sur le lit sans pouvoir trouver le sommeil, elle se détachait avec une grande netteté dans le rectangle clair de la fenêtre.

Je distinguai soudain la même lueur qu’il m’avait semblé voir dans la grotte sortir du bec de cette lampe. Cette fois il n’y avait pas de doute : la chambre était plongée dans l’obscurité et nulle illusion d’optique n’était possible ! Presque aussitôt une voix résonna dans ma tête. Cette voix m’était familière : en effet c’était la mienne ! Une force inconnue formait des mots comme si mon propre cerveau en avait été l’origine. Voici ce qu’elle disait :

 

« Je m’appelle Nadya. Tu t’étonnes que je parle si bien ta langue ? En réalité je parle par ta bouche, je vois par tes yeux, j’entends par tes oreilles, car moi, n’ayant plus d’existence matérielle, je suis muette, aveugle et sourde… Je ne parle aucune langue et pourtant je les parle toutes car ce sont tes mots à toi qui donnent corps à mes pensées. Sache enfin pour ta gouverne que ton cœur m’est ouvert, ainsi que tes pensées les plus intimes.»

« Par exemple, en ce moment, je peux lire la crainte dans ton esprit. Je t’en prie, ne sois point effrayé car je ne te veux aucun mal, au contraire ! Si tu gardes cette lampe près de toi, chaque nuit où nous serons seuls je te tiendrai compagnie et te raconterai ce que fut la vie de Nadya, née noble citoyenne numide et qui mourut à vingt ans comme une esclave dans cette sombre caverne où tu as trouvé mon âme. »

« Certes je n’ai pas vécu longtemps mais je l’ai fait intensément et pleinement. Entre le jour de ma naissance et celui où je fermais les yeux pour la dernière fois j’ai vécu bien des histoires merveilleuses. Pourtant je suis morte dans l’anonymat et aucun des hommages dus aux défunts de mon rang et de ma qualité ne m’a été rendu. Ton rôle est de remédier à cet oubli. Lorsque j’aurai terminé, je disparaîtrai enfin de ce monde »

 

Incapable de réagir, je restais allongé sur mon lit, attendant que ce rêve prenne fin, mais la voix qui résonnait dans ma tête poursuivait : « Non, tu ne rêves pas, c’est moi, Nadya, qui te parle ! »

« Connais-tu la merveilleuse histoire de Psyché ? Non à ce que je vois dans ton esprit. Peut-être ce récit, célèbre à mon époque, n’est il pas parvenu jusqu’à toi ? »

 

« Dans ce cas je vais t’en donner une version résumée et tu sauras pourquoi j’y tiens tellement »

 

« Psyché était l’une des trois filles d’un roi. Elle était si belle que tous les habitants du royaume se mirent à l’adorer comme une Divinité. Cela déplut fort à Venus, la déesse de l’Amour, qu’on osât vouer à une simple mortelle une adoration dont elle seule se jugeait digne.

Elle chargea donc son fils, le divin Cupidon, de la venger en faisant en sorte que, grâce à une de ses flèches habilement envoyée, elle tombât amoureuse de l’être le plus hideux de la Terre.

Mais à la vue de la belle ce fut Cupidon qui succomba à son charme. Il imagina alors tout un stratagème pour en faire son épouse. Conduite en son palais par une voie magique, Psyché, ignorant à qui elle devait ce transport, seule durant le jour dans ce lieu magnifique, goutait nuit après nuit, dans une obscurité totale, aux caresses savantes du Dieu ailé. Celui-ci lui jura un amour éternel à la condition expresse qu’elle ne cherchât point à savoir qui il était. Mais les sœurs de Psyché, jalouses, la persuadèrent que son amant nocturne était un monstre à la forme reptilienne, si bien que la jeune fille trop curieuse finit par contempler le beau visage du Dieu endormi qu’elle reconnut aussitôt.

Instantanément le palais disparut et Vénus entra dans une colère terrible.

S’en suivit alors une longue série d’épreuves expiatoires dont je te dispenserai du détail mais qui me tenait en haleine lorsqu’on me les racontait le soir, avant de me coucher. Parmi les plus terribles, il y eut une descente aux Enfers, gardés par l’horrible chien Cerbère à plusieurs têtes, puis le franchissement du Styx, le fleuve des Enfers, par le passeur Charon, abusé par la pièce de monnaie que Psyché avait préalablement placée dans sa bouche comme il était d’usage de le faire avec les morts. La dernière épreuve, était un véritable supplice pour la coquette que j’étais ! Trahie par son insatiable curiosité, Psyché débouche un flacon. Une fumée noire se répand et se dépose sur sa tête. En se regardant dans un miroir elle voit son visage devenu hideux et s’évanouit. »

« Heureusement l’histoire ne se terminait pas ainsi. Cupidon, jamais avare de ses flèches comme tu le sais, la pique avec l’une d’entre elles et lui rend sa beauté première. »

« Jupiter, informé de toute l’histoire et prompt à compatir aux amours terrestres auxquelles il avait goûté plusieurs fois, sermonne un peu Vénus qui accorde son pardon aux deux amoureux. Dans sa grande générosité Jupiter fait de Psyché une Immortelle et célèbre son mariage avec Cupidon. Comme dans toutes les histoires, ils eurent de nombreux enfants, dont la première fut une fille qu’on appela Volupté »

Ce mythe de Psyché, c’est celui d’une âme déchue, comme moi, qui après bien des épreuves, finit par accéder à l’Amour Divin.  Comprends-tu maintenant pourquoi je t’ai raconté cette histoire ? Je suis née élue des Dieux ; j’ai vécu, aimé, enfanté, souffert et finalement terminé misérablement enterrée vivante, attendant la mort dans l’obscurité, prés de ma lampe éteinte.

 

Comme Apulée parlant de Psyché dans ses « Métamorphoses » tu inscriras mon histoire sur tes tablettes ou sur quoi que ce soit qui te sert d’écritoire à ton époque. Quand tu l’auras fait je m’en irai en paix.

 

Où ? Je ne sais pas… Mais cela m’est égal car je n’éprouverai plus alors cette obsession qui me lie inexorablement à cette maudite lampe. Je rejoindrai le vaste monde des purs esprits qui peuplent l’Univers, cet Infini auquel tu rêvais tout à l’heure juste avant que je ne me manifeste à toi. Je serai libre d’oublier ma vie et mourrai enfin comme une simple mortelle.

« Pour cette première nuit qu’il te suffise de savoir que je suis là avec toi et que, comme toi, j’ai besoin que la paix revienne dans mes pensées avant de continuer mon récit. Que la nuit te soit douce… »

Un commentaire »

  1. Voilà que tu verses dans la mythologie romaine ,c’est fou ,j’aime . Nb .je viens de lire insomnies 3 ,je digére ,je te laisserais un commentaire plus tard aprés réflextion

    Commentaire par LUIS — 07/09/2006 @ 8:01

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