Lettres Au Vent

07/09/2006

Insomnies 4

Enregistré dans : — Nono @ 23:06

Je suis allongée au bord de la piscine qui fait face à ma maison. Mes yeux sont fermés, j’ai la tête tournée vers le soleil, et mes paupières laissent filtrer une lueur rouge, celle du sang qui circule dans mon corps. J’aime sa couleur pourpre ! Quel plaisir de se baigner dans cette eau pure et fraiche descendue de nos montagnes de l’Aurès ! Avec la chaleur qu’il fait mon maillot et mon corps sont déjà secs. Tous mes sens sont aiguisés à l’extrême. Seule ma vue se repose pour l’instant Le parfum des champs de violettes qui entourent notre villa flotte dans l’air, transporté par une légère brise qui caresse ma peau nue, tempérant un peu l’ardeur de l’astre solaire. Le chant des alouettes monte en trilles infinies, éclipsant par leur puissance le chant des timides cigales. Ma peau, maintenant complètement asséchée, commence à bruler, annonçant que le bien-être va se transformer en souffrance si je n’y prends pas garde. Je goûte encore un peu à l’instant présent avec délectation et je songe à la vie qui s’ouvre devant moi. Pour l’instant je n’y vois que du bonheur en perspective.

J’ai eu onze ans la semaine dernière ! Je suis une petite fille et je n’ai pas encore mes règles. Il y a peu de temps ma mère m’a expliqué pour la première fois ce qui allait bientôt m’arriver.  A partir du jour où ce sang apparaitra elle m’a dit que je ne serai plus une fille mais basculerai dans la catégorie des « femmes ». Bien qu’un peu inquiète j’en suis plutôt contente, même si cela signifie la fin des parties de fous rires avec les garçons lorsque nous jouons aux osselets, aux noix ou à colin-maillard. J’y avais encore joué hier matin. Nous avions bandés les yeux de Manius avec un foulard et puis nous l’avions fait tourner sur lui-même pour le désorienter en chantant à tue-tête la ritournelle : « tu la chercheras mais tu ne la prendras pas ! ». Je riais tellement que je me suis fait prendre assez rapidement. J’ai bien remarqué que les mains de Manius s’attardaient un peu trop sur les bosses que ma poitrine commence à avoir, sous le prétexte de deviner qui j’étais. Cela m’a un peu intriguée car, à part une douleur sourde dans ma poitrine, je n’ai rien ressenti d’autre. Est-ce que j’aurais du ? J’ai cru jusqu’à présent que les seins avaient une fonction purement alimentaire. Ma mère ne m’a rien dit d’autre à ce sujet. Bah … je verrai bien quand je serai une femme ! Ah, ces jeux avec les enfants des domestiques ! Je les regretterais bien ! En revanche ma vie de future femme se présente sous les meilleurs auspices. J’épouserai sans doute un homme riche et je règnerai, comme ma mère, sur une vaste maison, fière de mon trousseau de clés qui ouvrent toutes les réserves de la maison. Comme elle je mettrai un point d’honneur à ne plus aller en cuisine, car ce n’est pas la place des nobles citoyennes !

Je suis belle. Ma mère m’a raconté qu’elle est allée au Temple de Venus dès ma naissance, a prié pour que je le sois et elle a été exaucée. En tout cas je lui ressemble ! Elle a cette beauté particulière des femmes de notre pays, les cheveux foncés sur une peau très blanche, très différente de la blondeur fadasse des romaines. Ses yeux, comme les miens, sont grands, légèrement en amande, et nos cils foncés font ressortir sans l’aide d’aucun maquillage, la teinte gris-vert de nos yeux.

Pour l’instant la sensation de brulure sur ma peau est trop forte : il faut que je rentre.

Mon père a fait aménager un sous-sol dans la maison, qui permet de supporter ces journées caniculaires de l’été numide. Un jour que nous revenions de Thabraca où nous étions allés en villégiature au bord de la mer, nous avons fait une halte à Bulla Regia. Invités par un citoyen de haut rang nous avons découvert les bienfaits de ces maisons à deux niveaux dont l’un est en sous-sol. On y est préservés des excès de la température extérieure, que ce soit en été ou en hiver. Depuis cette visite mon père avait fait entreprendre les travaux qui ont aboutis à la création de ce sous-sol.

Le contact de mes pieds sur les carreaux de faïence qui tapissent le sol communique à mon corps une fraicheur vivifiante.

Je m’allonge sur une banquette de marbre recouverte de coussins et je contemple le bassin qui occupe le centre de la pièce. Une fontaine laisse couler un filet d’eau dont les fines gouttelettes diffusent dans l’atmosphère une humidité bienfaisante. Au fond du bassin des mosaïques représentent des animaux étranges et légendaires qui peuplent l’océan : dauphins, sirènes et le terrible Léviathan, capable- parait-il - d’avaler un bateau en une seule bouchée ! Un jour, à Thabraca, j’ai vu une barque revenir avec un dauphin qui avait été capturé dans les filets du pêcheur. L’animal n’était pas encore mort et je me souviens encore de son œil larmoyant qui semblait me fixer avec une expression presque humaine. Le souvenir de ce contact visuel m’avait profondément émue. Pour moi les dauphins seront toujours les compagnons de jeu des dieux et déesses de la mer. Le personnage central de la mosaïque, entouré de dauphins précisément, est la déesse de la mer, Amphitrite, épouse de Poséidon, qui, avant de succomber aux charmes du Dieu de la mer - dit la légende - s’était réfugiée dans nos montagnes de l’Atlas. Les yeux d’Amphitrite semblent me regarder quelque soit l’endroit de la pièce où je me trouve. Est-ce un signe du destin signifiant qu’une déesse m’observe depuis l’Olympe? Ma mère entre dans la pièce. Elle est coiffée avec art et je l’envie. Mon statut de petite fille m’impose une modestie dans la tenue qui commence à me peser. Mes cheveux sont retenus en queue de cheval au dessus de ma tête par un simple cordon et ma robe de cotonnade blanche est insipide. En revanche la tenue de ma mère suscite mon admiration. Ses cheveux  noirs forment un contraste savant de réserve et de provocation : ils sont retenus au sommet de la tête en une masse sombre par des épingles dorées et, suprême coquetterie, des bouclettes folles s’échappent de part et d’autre pour encadrer l’ovale parfait de son visage très blanc. Claudia, la vieille gouvernante attachée au service de ma mère, passe un temps fou à échafauder cet édifice instable. Une ceinture étincelante, placée très haut au dessus de la taille, juste sous les seins, fait ressortir et met ces derniers en valeur, le pli sombre de leur naissance apparaissant dans le décolleté de sa robe. Celle-ci retombe en larges plis qui couvrent entièrement ses jambes dont seul un genou apparaît fugitivement de temps en temps quand elle les croise pour s’asseoir.

-         «  Nadya, je t’ai déjà dit que tu ne devrais pas rester si longtemps au soleil ! Ton teint pâle est un élément de ta beauté et il doit garder cette teinte laiteuse qui en fait l’attrait. Si tu continues tu ressembleras à ces filles d’esclaves à la peau brune que les marchands ramènent du grand sud pour les vendre au marché de Madaure! »

-         « Tu as raison maman ; je me suis juste séchée au soleil avant de rentrer à la maison. D’ailleurs ma peau commençait à me bruler. »

-         « Viens, je vais t’enduire avec un onguent  qui a des vertus apaisantes. »

 

Je suis ma mère dans sa chambre. Je me déshabille, ce qui est vite fait car, après mon bain dans la piscine, j’avais juste enlevé mon maillot constitué de deux pièces- une culotte et un bandeau pour dissimuler ma poitrine naissante- et je suis restée nue sous ma robe de coton blanc Elle prend sur sa table de chevet un pot en ivoire qui contient une crème onctueuse et odorante et m’en enduit tout le corps. La crème sent bon le romarin et son parfum m’enivre un peu. Je m’abandonne avec confiance aux mains de ma mère qui parcourent doucement mon corps et les brulures de ma peau s’apaisent. J’ai sommeil. J’ai envie de dormir.

Sans transition je réintègre ma conscience : laquelle ? Oui … je me souviens maintenant ! Je suis Jean, je vis en 1955 et je sors d’un rêve étrange. Un rêve ?

-         « Si tu veux » me susurre la voix de Nadia dans ma tête. « Considère que tu as rêvé, l’essentiel est que tu m’aies entendue. Maintenant tu peux vraiment dormir »

-          

Epuisé, je m’endors comme une masse et aucun rêve ne vient troubler ce sommeil. Le rêve, j’en ai eu mon compte pendant que Nadya occupait mon esprit…

Un commentaire »

  1. COMME Nono, nous entrons dans l’esprit de Nadya ,que nous réserve la suite ,le style reste impeccable . luis

    Commentaire par LUIS — 10/09/2006 @ 8:07

Fil RSS des commentaires pour cet article. URI de Trackback

Laissez un commentaire

Les paragraphes et retours à la ligne sont automatiques. Les e-mails sont masqués. HTML autorisé : <a href="" title="" target="" class=""> <b> <blockquote> <br> <code> <em> <i> <li> <p> <strike> <strong> <sub> <sup> <u> <ul>


Powered by WordPress