Lettres Au Vent

10/09/2006

Insomnies 5

Enregistré dans : — Nono @ 10:01

                                                          Réveil difficile

 

Le lendemain matin le soleil est déjà haut quand je me réveille. Il inonde ma chambre et sa lumière crue efface les ombres incertaines et les mystères de la nuit que je viens de vivre. Le vieux réveil à ressort qui est posé à la tête de mon lit indique qu’il est près de 10 heures ! Ma mère a préparé depuis longtemps mon café au lait à l’heure où je m’éveille d’habitude, et il est froid maintenant. J’ai la tête douloureuse, bourdonnante et vide, la bouche pâteuse, symptômes encore inconnus de moi d’une de mes futures « gueules de bois ».

Machinalement je vais dans la cuisine, où ma mère s’affaire déjà à la préparation du repas de midi, je réchauffe le café au lait et y trempe sans conviction une tartine de beurre que je mâche avec lenteur. Mes yeux ont du mal à se fixer sur les choses qui m’entourent comme si ma rétine gardait encore une trace des images que j’avais vues à travers les yeux de Nadya.

Le souvenir de la nuit est omniprésent. Quelquefois, après certains rêves dans lesquels on s’est senti fortement impliqué, on a du mal à émerger au réveil. Là c’est encore plus difficile ! Pendant un temps dont la durée m’échappe j’ai été Nadya et cette expérience a implanté en moi des souvenirs étrangers indélébiles! Je me revois dans la peau de cette fille et plus encore je ressens ses émotions, son plaisir d’être allongée au soleil, celui de fouler ces dalles fraiches du sous-sol et jusqu’au battement du sang dans ses veines. De même, j’ai encore la sensation des mains de « ma mère » qui masse ma peau avec une crème calmante Compte tenu du cours de sa vie, que Nadya a qualifiée de « tumultueuse », dans quels abimes va-t-elle me transporter ? Cette nuit je demanderai à Nadya de limiter autant que possible ce genre de communication. Je préfère sa voix résonnant dans ma tête à cet envahissement total de mon esprit.

Ma mère intriguée par cette grasse matinée inhabituelle chez moi qui suis plutôt matinal, me questionne sur ma santé et sur une possible indigestion. Je démens sans grande conviction et affirme que tout va bien, ce qui est manifestement faux et l’inquiète encore plus. Dès qu’elle a le dos tourné je fouille dans mon bureau pour y trouver un gros cahier de 100 pages que je destine à recueillir « mes » souvenirs. Cet après-midi, profitant du calme relatif de la période de la sacro-sainte sieste je commencerai à écrire.

 

A midi, mon père rentre pour déjeuner. Malgré mon absence totale d’appétit je m’efforce de participer au repas. La conversation revient sur les évènements de la veille.

L’histoire de la découverte du squelette a fait grand bruit chez les mineurs de Garn Halfaya. L’endroit est définitivement catalogué comme « tabou ». Mon père, inquiet pour l’activité industrielle, envisage de faire venir l’imam du village pour procéder à une opération d’exorcisme, seule capable de ramener les mineurs sur le lieu de travail. En attendant les activités de la carrière sont perturbées car il faut creuser dans une zone qui avait été désaffectée à cause de sa faible teneur en plomb.

 

L’après midi, pendant « la sieste », j’ai ouvert le nouveau cahier et commencé à écrire l’histoire de Nadya. Je dois prendre des précautions et enfermer absolument ces notes car leur découverte par mes parents me ferait passer pour fou à leurs yeux.

 

Le soir, au diner, mon père nous a raconté la cérémonie d’exorcisme à laquelle il a été obligé d’assister. L’iman Abdelkader, patriarche et guide spirituel de l’une des trois grandes familles auxquelles la quasi-totalité des mineurs appartiennent est arrivé avec le livre saint des musulmans : le Coran. Le travail avait cessé partout et même les ouvriers de la « laverie » (qui sert à dégager le minerai de sa gangue de boue) s’étaient déplacés vers la carrière !

Face à la cavité sombre que l’explosion avait découverte et dans laquelle se trouvaient encore ce que je savais être maintenant les restes terrestres de Nadya, l’imam s’était mis à réciter des versets qui demandaient aux djinns de s’apaiser et de quitter ces lieux sans faire de mal aux fidèles, « car telle était la volonté d’Allah » et les djinns étaient sommés de s’y plier. Les cérémonies musulmanes sont d’une incroyable sobriété d’apparat, comparées à celles des autres religions, notamment chrétiennes : pas de fumées d’encens, d’eau bénite ou d’ors dans les vêtements du prêtre pour frapper l’imagination des foules ; seule compte la prière et la ferveur de ton avec laquelle elle est récitée.

A la fin de la récitation deux hommes s’avancèrent vers la grotte portant un linceul blanc. C’était assurément des hommes forts et courageux mais l’imam avait du argumenter très fort pour les décider, et finalement seuls ces deux volontaires sur une centaine d’ouvriers avaient accepté la mission funèbre. Il s’agissait de recueillir les restes dans le linceul et de pratiquer l’enterrement traditionnel des musulmans dans le petit cimetière qui se trouvait un peu à l’écart du village. Par la pensée j’imaginais le rassemblement de ces os dans la lumière tremblotante des lampes de mineurs et un frisson me parcourait en pensant que, l’espace d’un moment cette nuit, j’avais été la chair qui les habillait !

Le cimetière se situait à une cinquantaine de mètres à peine des premières maisons en ruines de l’ancien village romain que j’avais exploré maintes fois, inspectant les signes gravés sur les pierres, recueillant des pièces de monnaies dans le sol ! Etait-ce un hasard ou le choix de l’emplacement du cimetière musulman avait été orienté par des esprits semblables à celui de Nadya, influençant ceux des hommes d’aujourd’hui ?

Je me promettais d’interroger Nadya lors d’une de nos entrevues nocturnes sur la vie de ce village romain qu’elle avait du connaître jadis.

Mon père donna congé à tous les ouvriers pour qu’ils suivent la procession funèbre et rentrent ensuite directement chez eux. Il était sûr que le lendemain le travail reprendrait normalement.

 

2 commentaires »

  1. Insomnies 5 est un épisode de transition , que va imaginer Nono pour nous tenir en haleine ? . Nono a un talent d’écriture certain ,il est dommage que les lecteurs de ses nouvelles soient aussi avares de compliments .S’il n’en faut q’un ……….. LUIS

    Commentaire par LUIS — 17/09/2006 @ 7:54

  2. Je ne sais pas Luis si les lecteurs sont avares de compliments, je crois qu’il y a peu de lecteurs, c’est tout! Sinon, oui, le chapitre 5 est une transition mais vers quoi ? On verra bien!

    Commentaire par Nono — 17/09/2006 @ 23:30

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