Lettres Au Vent

21/03/2006

Le Visiteur

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«Retour … maison»

E.T.




Jour 10. An 12342 de Wurm.



Zylk se retourne encore une fois dans l’obscurité de la cuve de fuel située au sous-sol de la maison. L’odeur est intolérable mais il doit la supporter s’il veut survivre. Il y a quelques jours il a bien failli mourir quand son vaisseau s’est écrasé sur cette planète aux vilaines couleurs bleues et vertes, si éloignées des magnifiques teintes de rouge et d’orange de Wurm. Zylk est chargé d’une mission d’exploration de ce système de planètes tournant autour de ce petit soleil de classe 4, mission dont le but ultime est tout simplement de trouver une solution pour permettre la survie de sa race. En effet la planète Wurm voit l’étendue de ses lacs d’hydrocarbures se réduire dramatiquement. Déjà la surpopulation des plus petits lacs a atteint un point critique et les Wurmiens qui y vivent remontent souvent à la surface pour guetter et implorer le ciel, espérant les bienfaisantes pluies noires qui se font de plus en plus rares.

Muni de son scaphandre, il s’était caché aux abords du lieu du crash et avait fait un point rapide de la situation. Celle-ci est tout bonnement catastrophique. Juste avant l’écrasement, les instruments du vaisseau lui avaient communiqué les résultats de l’analyse chimique de l’atmosphère : de l’oxygène à plus de 20 % ! Heureusement son scaphandre lui assure une autonomie d’environ deux jours. S’il n’avait pas trouvé cette cuve remplie de fuel il aurait été contraint de respirer cet air empoisonné et serait mort dans d’atroces douleurs, les poumons brûlés par l’oxygène.

Avant de rejoindre ce refuge inespéré, Zylk a eu le temps de noter quelques informations sur cette planète. Outre l’exceptionnelle faculté de tous les êtres vivants d’avoir pu s’adapter à une atmosphère si anormalement riche en oxygène, il semble incroyable qu’autant d’espèces différentes puissent cohabiter ainsi dans si peu d’espace, surtout compte tenu de la taille gigantesque de la plupart des spécimens.

Cette dimension impressionnante de la plupart des terriens lui a permis de passer presque inaperçu jusque là. Demain il tentera une autre sortie afin de compléter ses premières observations.



Jour 11. An 12342 de Wurm



Prêt à sortir de son abri de fuel salvateur, Zylk, les sens en éveils, va tenter de mieux connaître les êtres dressés sur deux pattes qui circulent au dessus de la cuve. Le problème c’est qu’ils communiquent par des sons effrayants et le volume très élevé de leurs vibrations dans son casque ne permet pas le bon fonctionnement de son analyseur syntaxique.

Heureusement ses capacités télépathiques lui permettent de ressentir leurs émotions.

Ils semblent en paix entre eux ainsi qu’avec le spécimen de l’autre espèce à 4 pattes et à l’odorat puissant qui semble l’avoir repéré depuis son atterrissage. Il tourne inlassablement autour de la cuve et Zylk en tremble de peur. Serait-il possible qu’il puisse pénétrer dans son abri de fortune ? Ce dernier semble en mauvais état mais contient suffisamment de cet hydrocarbure qui, bien qu’impur et nauséabond, lui permet d’ôter son scaphandre de survie et économiser ainsi ses réserves.



Profitant de la disparition momentanée de l’être terrifiant à quatre pattes, Zylk, muni de son scaphandre, escalade les gros blocs en pierre qui le mènent aux étages supérieurs. Ses ventouses lui sont d’une grande utilité. Il trouve un poste d’observation idéal dans un interstice du mur qui communique d’un côté avec une pièce réservée aux deux plus grands spécimens, de l’autre un espace encombré d’une multitude d’objets étranges et dans lequel circulent ou se posent indifféremment les uns et les autres.

Son attention est à son maximum. Apparemment il existe une hiérarchie entre les habitants qui vivent entre les murs protégeant la cuve. Mais attention ! Son entraînement intensif de cosmonaute sur Wurm lui a appris qu’il est essentiel de bien repérer l’être vivant le plus élevé dans la hiérarchie, sans se contenter d’observations superficielles et ce, qu’elle que soit la société rencontrée, pour ne pas aller au devant de sévères ennuis lorsque vient le moment de se faire connaître.

S’il s’était laissé allé à ses premières impressions il aurait attribué la place du chef à Ouaf, à cause de la puissance de ses cris et cette manière indolente de se reposer pendant que les autres s’activent. L’être à 4 pattes que Zylk a surnommé « ouaf » à cause des sons qu’il émet, ne semble pas participer en fait aux décisions ; il est une sorte d’animal de compagnie. Les 4 êtres immenses, se tenant debout sur deux pattes constituent l’espèce dominante. Ils sont émotionnellement plus forts et c’est vers eux que Zylk doit porter ses efforts d’observation et de perception avant de rentrer en communication télépathique.



Zylk est frappé par les différences physiques entre les êtres qu’il observe. De son poste d’observation il a pu examiner les deux dominants lorsque, à la nuit tombée, ils sont venus s’allonger en position horizontale sur un large meuble moelleux. Ils ont auparavant ôté les pièces de tissus qui les protégeaient sans doute de l’atmosphère corrosive de cette planète et il a pu noter des détails intéressants. Outre la pilosité importante du sommet, un des deux semble avoir deux renflements de chair dans le tiers supérieur antérieur et deux formes plus marquées dans le milieu postérieur. Zylk observe que l’autre possède une sorte d’appendice entre les pattes alors que le premier en est dépourvu. Comme c’est étrange ! Sur sa planète à lui, tous les wurmiens sont strictement identiques du point de vue morphologique !

Jusqu’à présent ses contacts ont été purement réceptifs. Il n’a pas osé encore émettre ses pensées pour tenter une véritable communication dans les deux sens. Il essaiera demain. Peut-être d’abord avec « ouaf» puis par ordre hiérarchique croissant en espérant qu’il ne se trompera pas sur cet ordre là.

4 Avril 2012. Terre. Calendrier Grégorien.


Betty est contente. D’abord parce qu’on est mercredi et qu’elle n’a pas cours, ensuite parce que, pour la première fois depuis plusieurs jours, la pluie a cessé et a laissé place à un soleil un peu pâle mais déjà annonciateur du printemps. Pour le moment elle vient de finir son petit déjeuner et, comme toute adolescente, elle n’est pas pressée d’entamer sa journée, aimant traîner le matin à révasser. Elle observe Joe, son berger allemand, qui se chauffe aux rayons de ce soleil, allongé sur le tapis du salon, la tête reposant sur les deux pattes de devant. Soudain le chien se met à gronder comme lorsqu’il se trouve en présence d’un chien étranger. Son poil se hérisse, puis un son rauque et continu sort de sa gorge, avec une lente modulation. Betty regarde autour d’elle, étonnée, mais ne voit pas ce qui peut mettre le chien dans cet état. La crise ne dure pas longtemps ; quelques instants après ces démonstrations Joe s’étire comme s’il venait de se réveiller d’un long sommeil et retourne se chauffer au soleil sur le tapis.





Jour 12. An 12342 de Wurm



Avant d’émettre ses pensées vers « ouaf », Zylk a voulu s’imprégner des sensations du spécimen au repos. Dans sa planète les règles de la bonne conversation exigent qu’on commence par écouter celui avec qui on veut communiquer. Il se glisse donc dans ce qui semble être le centre émotionnel du sujet.

Immédiatement il est frappé par l’étendue de la gamme des perceptions qu’il ressent, bien plus riches que celles d’un Wurmien. Sur Wurm les capacités qu’offre la télépathie, étendues à tous les êtres vivant sur la planète, a fait régresser l’acuité des sens, devenus souvent superflus, à l’exception de la vue et du toucher. La sensation la plus intense est celle de la douceur du soleil et de sa chaleur sur son pelage noir. Puis vient l’odeur du coussin en velours du vieux canapé à proximité du tapis, ainsi que le parfum aux effluves fortement doux amers de l’être à deux pattes et à longs cheveux. Zylk entend aussi le son discordant d’un animal qu’il perçoit à travers le cerveau de son hôte momentané : un être relativement petit au regard des normes de cette planète, au corps recouvert d’un plumage coloré. Ce son évoque chez ouaf des images de chasse. Le souvenir des traques de gibier remonte dans la mémoire de son hôte, ainsi que le plaisir de sentir entre ses dents la tiédeur d’un corps tremblant et le goût sucré du sang dans sa bouche. La partie du cerveau que Zylk ne livre pas à ouaf analyse froidement ces sensations et les juge objectivement assez dégoûtantes selon l’éthique en vigueur sur sa planète. Toutefois il se garde bien de communiquer ses impressions au spécimen ; cela aussi est une règle de savoir-vivre.

Pour son premier contact émetteur il va transmettre à ouaf une belle image d’un Cryz, son équivalent wurmien en quelque sorte, (mais beaucoup plus beau évidemment). L’objet d’étude va s’assoupir : c’est le moment …Zylk est surpris de percevoir la réaction de ouaf. Les images en provenance du cerveau de l’animal le submergent : Peur, Protection du territoire, Compétition, Intimidation. Zylk retire tout doucement l’image du Cryz ce qui provoque un apaisement immédiat.





4 Avril 2012. Terre. Calendrier Grégorien.





Nicolas vient d’avoir 12 ans. En ce mercredi d’avril, il vient de finir son petit déjeuner et pense à la façon dont il va organiser sa journée. D’abord se débarrasser de ses devoirs de classe. Il va appeler Lise, sa copine, et ils pourront s’entraider. Il aime bien Lise avec qui il a été en classe depuis l’école maternelle. Depuis quelques temps cependant, Nicolas sent un certain trouble lorsqu’il se retrouve seul avec elle. Est-ce qu’il serait en train de tomber amoureux ? Comme son père l’est de sa mère ? Dans ce cas faudrait-il qu’il l’embrasse ? Comme Pascal – son ami - et sa copine Sophie qui échangent des baisers pendant les séances de cinéma, où ils vont assez régulièrement les mercredi après-midi. Rien que cette idée le fait frémir d’horreur. Que Pascal ose embrasser comme un vrai amoureux, en utilisant sa langue, ne lui a jamais fait envie…



Jour 12. An 12342 de Wurm



Zylk vient de se glisser dans la tête de Nicolas juste au moment où les pensées du jeune homme évoluaient vers ce qu’il serait sensé faire à Lise s’il s’avérait amoureux d’elle. Le würmien reconnaît vite en lui l’émotion familière que l’amour produit aussi sur sa planète. Il se souvient de sa jeunesse, avant qu’il n’intègre le corps des astronautes chargés d’explorer les étoiles pour sauver l’avenir des wurmiens. A l’Académie de l’espace il avait choisi d’être mâle face à son camarade de chambre Plik qui préférait être femelle. C’est avec ce dernier qu’il avait ressenti les premiers tourments de l’amour et pratiqué ses premières expériences physiques. Il avait connu par la suite bien d’autres aventures sentimentales dans les tavernes à marins du grand lac de Gryz, aussi bien en tant que mâle que femelle, puisque tous les würmiens sont hermaphrodites, mais le souvenir de Plik, son premier amour, revient encore souvent hanter son esprit. Il va émettre vers Nicolas le flot des sentiments et des sensations qu’il ressentait alors et la nostalgie qu’il en éprouve encore …





4 Avril 2012. Terre. Calendrier Grégorien.





Nicolas reçoit comme un flash dans son cerveau. Des sensations inconnues affluent brusquement. C’est d’abord le parfum délicieux du pétrole. Quelque part, une partie intacte de son cortex, laissée libre par Zylk, réagit avec étonnement à ce plaisir olfactif mais sa résistance est vite vaincue et il se laisse submerger par le plaisir que lui procurent les vapeurs du pétrole. Puis ce sont des images de villes sous-marines qui se forment, au fond de grands lacs orange. Des villes improbables d’où émergent des flèches dorées qui atteignent presque la surface du lac. Au pied d’un grand bâtiment de pierre il voit un minuscule animal qui se précipite sur lui. C’est une sorte de pieuvre. Il regarde alors son propre corps et constate avec stupeur que lui aussi a cette apparence. Mais il n’est pas effrayé, au contraire. La vue de ce petit être réchauffe son cœur et il anticipe déjà le plaisir qu’il aura à son contact. Il sent qu’il l’aime, d’un amour profond. Il l’enlace de ses multiples tentacules et sent une douce chaleur irradier en lui au milieu de son corps. Il ressent qu’une chaleur similaire brûle au sein de l’autre être. Quelle étrange sensation !

Les images s’évanouissent peu à peu laissant à Nicolas cette impression de manque qu’on a lorsqu’on émerge d’un beau rêve qu’on ne veut pas quitter au réveil. Il reste un moment songeur et un frisson le parcourt. Pourquoi s’est-il assoupi après le petit déjeuner ? C’est bien la première fois que cela lui arrive ! Maintenant son esprit pratique ne voit pas comment il va faire pour raconter ce rêve à Lise et lui faire comprendre qu’il a pris du plaisir à faire l’amour avec une pieuvre, lui qu’un simple baiser sur la bouche dégoûte. !







6 Avril 2012. Terre. Calendrier Grégorien.



Comme c’est souvent le cas au mois d’avril au Québec, après quelques jours de beau temps, le froid est revenu. Des giboulées de neige ont saupoudré de blanc la pelouse du jardin. La température extérieure est descendue à 4 degrés au-dessous du zéro. Le chauffage central marche à fond, et Gérard, qui espérait terminer la saison avec son reste de fuel, appréhende le moment où il va devoir réapprovisionner. Il s’est finalement résolu à jeter à la ferraille la vieille cuve rouillée pour la remplacer par une de ces nouvelles cuves en plastique.

Gérard est descendu à la cave est scrute la jauge qui indique le niveau de fuel restant. Il se livre à de rapides calculs mentaux et conclut qu’il doit pouvoir attendre la fin de la saison avant de procéder au changement qu’il projette.



Jour 12 An 12342 de Wurm



Toutes ces élucubrations n’ont pas échappé à Zylk, qui s’est connecté à Gérard dès qu’il est descendu dans la cave. Il ne connaît pas les saisons sur cette planète, mais s’il en juge par la vitesse avec laquelle les nuits et les jours se succèdent et par la baisse du niveau qu’il est aux premières loges pour constater de visu, il n’en a plus pour très longtemps à vivre.

Alors ce sera aussi la fin de sa mission et un espoir de plus qui s’envolera pour sauver Wurm. Il espère que les autres vaisseaux d’exploration, avec qui il a fait route jusqu’aux abords de ce système solaire, auront trouvé quelque planète d’accueil mais les messages qu’il a échangés avec eux jusqu’aux derniers jours avant le naufrage, indiquaient qu’ils n’avaient encore rien trouvé.

Seul, au fond de ce liquide de survie qui diminue inexorablement plus vite qu’il l’avait imaginé, Zilk essaie de ne pas paniquer et d’analyser clairement la situation.

A ce stade, la connaissance que Zilk a acquise des êtres qui l’entourent grâce à ses sondages télépathiques semble suffisante pour qu’il échafaude un plan lui permettant, avec un peu de chance, une issue favorable.

Les êtres de cette planète sont sexués. Ceux responsables de la reproduction sont ceux qui ont des formes arrondies et de longs cheveux sur la tête. Ils possèdent au bas de leur ventre un orifice en lieu est place de l’appendice de leurs compagnons du sexe opposé. Zilk n’a pas les moyens de vérifier si c’est bien cet orifice qui communique avec la poche à reproduction mais il commence à entrevoir que son seul espoir réside dans l’être qui le possède.

Ce soir il se glissera dans sa tête et verra si son projet est réalisable.



7 Avril 2012. Terre. Calendrier Grégorien.

Gaïa a 34 ans. Ses cheveux, longs et légèrement bouclés, sont tellement foncés qu’ils apparaissent noirs. Dans ce corps de brune solidement charpenté, ses yeux bleu pale forment un contraste saisissant qui a séduit immédiatement Gérard dès qu’il l’a connue, à 18 ans, alors qu’elle venait juste de sortir de l’adolescence. Ses parents lui ont donné le prénom de Gaïa – qui signifie la Terre en grec - parce qu’ils étaient déjà des écologistes convaincus à une époque où ce n’était pas encore une mode. Gaïa s’est mariée très tôt, à 19 ans, et a été enceinte de Betty tout de suite. Elle rêvait d’avoir plein d’enfants autour d’elle mais les circonstances en avaient décidé autrement. Gérard travaillait alors comme technicien dans une petite entreprise de la banlieue de Montréal. Nicolas venait d’avoir 4 ans et Gaïa commençait à s’impatienter de ne pas avoir encore un nouveau né à chérir. C’était l’hiver et il y avait du verglas sur la route. La voiture de Gérard avait fait plusieurs tonneaux avant de s’immobiliser contre la rambarde de sécurité, et celle-ci avait éventré la portière de la voiture, blessant gravement Gérard au niveau du bas-ventre.

Gérard s’était remis lentement de cet accident, mais comme elle l’avait appris de la bouche du chirurgien qui l’avait opéré plusieurs fois, il ne fallait pas espérer que Gérard puisse avoir encore des enfants. Cette maternité frustrée était ce qu’il y avait eu de plus douloureux dans les conséquences de l’accident. L’interruption des rapports sexuels avec son mari lui avait pesé au début. Elle se souvenait que, lorsqu’elle regardait avec lui des films à la télévision et que des couples faisaient l’amour sur l’écran, elle ressentait un grand creux au niveau de l’estomac et une angoisse étreignait sa gorge. Elle aimait profondément Gérard, qui avait été le seul homme de sa vie, et jamais, même en rêve elle n’aurait envisagé de le tromper pour satisfaire ses besoins physiques. Non : ce qui lui manquait c’était des bambins bien à elle, issus de sa chair, une grande famille avec de nombreux éclats de rire et de courses poursuite.



Jour 13 An 12342 de Wurm

Zylk découvre avec stupeur et émerveillement les pensées de Gaïa. Les contacts qu’il a eus avec Gérard et Betty, ne lui ont pas laissé entrevoir une telle complexité et une telle noblesse de sentiments. Par ailleurs, le besoin de maternité de Gaïa ne lui est pas inconnu. En tant qu’hermaphrodite, c’est à dire possédant l’ensemble des organes mâle et femelle, le fait d’utiliser l’une ou l’autre des possibilités est une affaire de goûts, voire de circonstances. Certains wurmiens alternent au gré de leur fantaisie, allant même jusqu’à tirer au sort pour savoir qui sera le porteur du corps, lorsque le besoin de se reproduire se fait ressentir. Sur sa planète, Zylk préférait généralement être un mâle, mais il se souvient d’une fois, où son partenaire l’avait surpris et déclenché en lui le processus d’adaptation rapide qui avait excité ses organes femelles. Pendant plusieurs mois de suite leurs rapports s’étaient établis sur ces bases et il se souvenait des modifications physiques et psychologiques qui s’étaient opérées en lui, notamment cette envie de maternité qu’il vient de retrouver en Gaïa.

Zylk découvre un autre sujet d’étonnement. A force de penser à travers Gaïa, il éprouve pour elle quelque chose qui ressemble à de l’amour. Comment est-il possible qu’une personne si différente, respirant un air mortel pour lui, puisse lui inspirer ce sentiment qu’il croyait réservé aux Wurmiens ?

De toute façon ces pensées sont bien futiles en regard du sort terrible qui l’attend s’il n’essaie pas quelque chose.


Jour 1 : An 0 du Calendrier TerroWurmien


Les jours ont passé et Zylk est obligé de se tasser de plus en plus dans le fond de la cuve, là où se concentre, à son grand dégoût, une sorte de boue formée par les impuretés accumulées au fil des années à chaque livraison de fuel. Heureusement il peut encore respirer dans la dizaine de centimètres qui restent parce que - même si Zylk est plutôt grand pour un Wurmien - sa taille n’excède pas 3 de nos centimètres terrestres.

Il somnole en rêvant à des ballades en capsule automotrice à travers les liquides odorants de sa planète, quand il est tiré de ses réflexions par la voix de Gaïa qui résonne dans sa tête. Elle semble toute proche, dans la cave, à portée de tentacule… Elle est venue chercher quelques pommes de terre stockées au frais pour éviter leur pourrissement. Ces pommes sont dans un panier en osier qui est situé juste à coté de la cuve. Zylk ressent la présence de Gaïa avec joie. Malgré toutes les objections sur la barrière des espèces qu’il ne cesse d’évoquer dans sa tête, il continue à l’aimer depuis le jour où il a découvert la pureté de son âme et la beauté de ses désirs de femme.

Zylk se glisse péniblement en dehors de la cuve, sans son scaphandre. En dehors de son milieu nourricier, et à condition qu’il ne respire pas l’oxygène mortel, il n’a que quelques minutes de vie. Lorsque Gaïa se penche sur le panier, il concentre ses forces, ses tentacules le propulsent vers le haut et il atterrit sur la figure de Gaïa, enfermant sa bouche et son nez.

Gaïa étouffe, elle veut crier mais aucun son ne sort de sa bouche bâillonnée par le corps de Zylk. Celui-ci reçoit des vagues terrifiantes d’ondes cérébrales de panique, dans lesquelles domine le concept de mort et une incroyable envie de vivre. Aussitôt il envoie une puissante émission d’images apaisantes pendant qu’il envahit l’esprit de Gaïa. Il fait fi de toutes les réticences qu’il a pu avoir jusque là et il transmet à Gaïa l’amour qu’il éprouve pour elle. Maintenant Gaïa a cessé de lutter. Elle est allongée sur le dos, reposant au milieu des pommes de terre renversées.

Zylk libère la bouche de Gaïa. Son corps rampe sur la poitrine, puis sur le ventre de Gaïa et se loge entre ses jambes, là où il a vu dans l’esprit de la jeune femme que se nichait la source de son besoin de maternité.

Enfin, dans un dernier effort intense, il concentre toute son énergie télépathique pour loger de manière définitive son esprit dans un coin du cerveau de Gaïa.

Au sens strict de la biologie wurmienne, Zylk est mort, son esprit n’ayant pas trouvé d’être semblable comme hôte. Gaïa se relève lentement et s’assied, appuyée sur la vieille cuve rouillée. L’être hybride qu’elle est devenue échappe totalement à la compréhension de nos concepts humains. Elle intègre désormais les expériences des deux civilisations terrestre et wurmienne, cohabitant dans une même enveloppe.

Zylk est heureux. Il sait que sa mission est un succès. A travers lui et sa descendance à venir Wurm survivra.

Gaïa, encore essoufflée par la privation d’oxygène que lui a imposé Zylk, reste allongée encore un instant. Il faut qu’elle se ménage maintenant. Un sourire illumine son visage et ses yeux clairs. Elle voit s’inscrire dans les manuels d’histoire qu’apprendront tous les enfants de la Terre et de Wurm :

« Gaïa la mère fondatrice de la Nouvelle Humanité »


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