Lettres Au Vent

30/03/2006

Mauvais choix

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«Si ce monde ne vous convient pas, vous devriez en voir quelques autres»

Philip K. Dick

 

John Dewar vient d’être viré de son travail. Longtemps il avait craint que cela lui arrive. Il y avait eu les bruits de couloirs : «tu fais partie de la liste …, Non tu en as été retiré…, il paraît que les Japonais ne veulent plus nous racheter …» et ainsi de suite depuis des mois.
A 45 ans cela va être dur de retrouver du boulot! Il ne comprend pas pourquoi cela lui arrive, à lui et pas à un autre. Bien sûr il aurait du se mettre plus en avant lors des réunions de « brainstorming » sur la nouvelle organisation. Il avait laissé parler ses collègues pour se contenter de mettre en forme le projet. Le résultat était que son patron, Peter Dobbs, l’avait jugé comme un être sans imagination, un simple exécutant tout juste bon à mettre par écrit ce que d’autres avaient créé. Mais surtout il avait eu tort de faire confiance à la nouvelle directrice des ressources humaines: Stéphanie. Il avait été trop familier avec elle. Il n’aurait pas du essayer de la draguer, apparemment elle n’avait pas apprécié. Ce matin, elle l’avait convoqué. Stéphanie était assise derrière son bureau et n’avait même pas daigné se lever. Elle l’avait regardé d’un air narquois, et lui avait tendu sa lettre de licenciement, en disant simplement:
«Je suis désolée John. Vous savez que les japonais demandaient un effort de gestion, notamment en matière d’effectifs. Vous ne vous êtes pas bien impliqué dans les travaux visant à dégager les économies attendues, ce qui a été interprété comme un manque de solidarité évident. C’est une des raisons pour laquelle Peter m’a demandé de vous inclure dans la liste des licenciements. Vous passerez au service administratif pour qu’on vous règle vos indemnités légales. Au revoir John.»

Enfin… maintenant il était trop tard ; On ne peut pas refaire le passé!…

Avant de rentrer chez lui annoncer la nouvelle à sa femme, il va s’arrêter dans un bar, ingurgiter un ou deux whiskies, cela le mettra dans une meilleure condition pour affronter l’épreuve qui consistera à annoncer son renvoi à Clara et à ses enfants.

Il est à peine 4 heures mais il fait déjà nuit en cette soirée de décembre. Une petite pluie mêlée de neige s’est mise à tomber. Noël approche et les décorations lumineuses des maisons et des rues se reflètent sur les pavés mouillés, multipliées à l’infini par les flaques d’eau.
Cela va être un triste Noël pour John et sa famille. Freddy, son garçon de 16 ans, voulait un vélo moteur : il attendra. Lucille, sa fille de 14 ans, a de la chance; sa coiffeuse et ses accessoires de maquillages ont déjà été achetés. Quant à Clara et lui, leur voyage dans les Caraïbes, qu’ils reportent sans cesse depuis des années, attendra encore des jours meilleurs!

John ne connaît pas le quartier où il vient de garer sa voiture juste devant une supérette qui expose en devanture ses fruits et légumes. Il constate encore une fois qu’on peut vivre depuis sa naissance à New York et ne pas connaître tous les coins et recoins de la « grosse pomme ».
Un néon rouge tremblotant indique : « Bar du Bout du Monde ». Bizarre, un tel nom peut paraître justifié en plein Arizona, voire sur certaines plages de l’Atlantique, mais à New York cela fait vraiment étrange!

Il entre dans le bar ; à cause de l’heure il n’y a pas grand monde, juste un couple de jeunes qui terminent leurs consommations et viennent de se lever pour partir. Il s’assoit sur un haut tabouret, s’accoude au comptoir et commande un whisky. S’il veut planer un peu il lui en faut au moins deux ; il avale donc le premier en quelques gorgées qui lui réchauffent instantanément le corps et un peu le cœur. Le barman a compris que quelque chose perturbe John, et il prend l’initiative de lui adresser la parole:
« Dure journée, n’est-ce pas?»
Il n’en faut pas plus pour que John laisse déborder ce qu’il a sur le cœur. Le second whisky aidant, il raconte ses malheurs, l’injustice de son patron, les erreurs d’appréciations qu’il a commises et l’échec de son opération charme avec Stéphanie.
Jo (le barman) compatit sincèrement. Comme John marque une petite pause, il intervient:
« -J’aimerais pouvoir vous aider»
« -Merci, mais je ne vois vraiment pas ce que vous pouvez faire pour moi, à part me resservir un troisième verre, bien sur… » Le barman lui sert sa commande.
«-Avez-vous remarqué le nom du bar ?»
« -Oui. Et puisque vous m’y fait penser, pourquoi avoir choisi comme nom «le bout du Monde» en plein New York?»
« -Vous l’avez donc remarqué! C’est déjà un bon point pour vous. Beaucoup de clients entrent et sortent d’ici sans avoir vu le nom. Et même s’ils l’ont lu ils n’ont pas la curiosité de se demander pourquoi un tel nom. Comme vous m’êtes sympathique et que vous semblez être dans le malheur, je vais vous le dire.
Avez-vous déjà entendu parlé des univers parallèles?»
« -Oui… dans des romans de sciences fiction. Mais ça n’existe pas bien sûr!»
«-Et bien détrompez-vous, cela existe!» L’alcool a rendu John légèrement euphorique, il n’a pas envie de contrarier Jo et entre dans son jeu. Il se souvient vaguement de ses lectures d’adolescent. Un tas d’univers possibles à travers lesquels des scientifiques se promenaient grâce à des machines hyper compliquées.
«-A quoi ça sert de penser qu’il y a une multitude d’univers parallèles si de toutes façon on ne peut pas passer de l’un à l’autre?»
Le barman reste pensif pendant un moment et il lâche brusquement:
«-Si c’était possible, oseriez-vous tentez l’expérience?»
«-Je n’aurais jamais dit cela si je n’en étais pas à mon troisième verre, mais en admettant que cela soit, pourquoi le ferais-je?»
«-Dans votre cas cela me paraît évident: il y a peu de temps se sont présentées à vous plusieurs voies possibles. Vous avez fait – selon votre propre aveu – les mauvais choix, d’où votre situation actuelle. Dans un des multiples univers parallèles un John qui vous ressemble comme deux gouttes d’eau en a fait d’autres. Il a pu faire pire, mais d’après votre récit la probabilité m’en paraît faible. Alors, allez voir dans un autre monde parallèle ne vous fera pas prendre de grands risques!»
«-Ouais,… je dois être complètement saoul parce que je vous écoute et discute avec vous comme si nous parlions des prochaines élections présidentielles! Et si je vous prenais au mot et je disais: oui ça m’intéresse?»
«-Rien de plus facile. Le point de contact entre les univers est à quelques pas ne nous, dans une petite pièce dont je possède la clé. Je me dois quand même de vous mettre en garde contre un risque, même si je l’estime minime. Voyez-vous, une multitude d’univers existent selon les circonstances qui se sont présentées à vous tout au long de votre vie. La distribution statistique de ces univers parallèles suit les lois de la probabilité. Or, qui dit «probabilité» dit «risque» bien sur, à tous les sens du terme. Dans l’un vous pouvez avoir gagné au loto et vous retrouver dans la peau d’un millionnaire, mais dans un autre avoir été abandonné dans Harlem à votre naissance, être devenu gangster et croupir dans la cellule des condamnés à mort. Tout ce que je peux dire c’est que ces deux cas extrêmes que j’évoque sont peu probables. Voulez-vous tenter le coup?»

John pense à son prochain retour à la maison. Il y a quelques jours il a décoré la façade avec des guirlandes lumineuses qui lui donnent un air de fêtes. Sa femme Clara va l’accueillir et lui demander, un peu anxieuse car elle sait qu’il traverse une période critique, des nouvelles de son boulot. Il devra alors bien lui annoncer qu’il est viré. Il imagine déjà les larmes de Clara! En entendant cela Lucille arrivera et se mettra aussi à pleurer. Freddy ne dira rien mais John sentira dans son regard de la pitié mais aussi le mépris d’avoir un père qui est un «looser».
Et si cette histoire d’univers était vraie? De toute façon si elle ne l’était pas que risque-t-il? Le barman ne lui a rien demandé en échange. Alors il regarde Jo et dit : «OK ; allons-y!»

Jo ferme la porte d’accès au bar. Un long couloir situé derrière le comptoir conduit tout au bout à une petite porte qu’il ouvre avec une clé aux formes étranges.
La pièce dans laquelle ils pénètrent semble tout à fait banale. Les murs sont tapissés d’un papier peint jaune paille, le sol est recouvert d’une moquette brune et une simple lampe au bout d’un fil éclaire faiblement ce piètre décor chichement meublé. La seule exception à la banalité est constituée par une espèce d’arche de 2 mètres de haut placée en plein milieu de la pièce, sous la lampe électrique. Si on regarde les quelques objets de la chambre à travers l’ouverture, leurs images tremblent un peu comme celles qu’on aperçoit au-dessus de l’asphalte d’une route surchauffée et on a du mal à les fixer trop longtemps .

Jo l’invite à franchir cette porte. Il explique que c’est elle qui est le point de contact communs à tous les univers. En la traversant on débouche de manière aléatoire sur l’un des univers possibles. C’est pour cela qu’il a appelé son bar: «le Bout du Monde».
Un pincement au cœur étreint John. Il s’avance et franchit l’ouverture.

John ressent un léger frisson. Est-ce le passage dans un autre univers ou plus prosaïquement l’angoisse que procurent les actes un peu irréfléchis?

Jo a disparu. Peut-être s’est-il éclipsé pour aller rouvrir le bar? En effet, lorsque John retraverse en sens inverse le long couloir qu’il a emprunté tout à l’heure, il l’aperçoit derrière le comptoir en train de discuter paisiblement avec un client.
« Au-revoir Jo! A une prochaine fois!…»
« Au-revoir John. Je suis ravi d’avoir pu vous être utile. Si vous n’êtes pas satisfait n’hésitez pas à revenir au bar du Bout du Monde…»


Dehors les quelques flocons mêlés à la pluie ont disparu. On dirait qu’il fait un peu moins froid. John repère sa voiture qu’il a garée à une certaine distance du bar, juste devant la Supérette dont les étalages de fruits et légumes sont recouverts de grandes bâches en plastique pour les protéger de la pluie. La vue de sa bonne vieille voiture a pour effet de le ramener au sens des réalités après cet épisode du bar qu’il a vécu comme un rêve. Il s’escrime depuis quelques secondes sur la serrure de la portière qui refuse de s’ouvrir quand une main se pose sur son épaule et une grosse voix retentit:
«Alors, mon bonhomme! On essaye de me piquer ma bagnole?»
Le patron de la supérette le tient par le col de sa veste et brandit un poing menaçant au-dessus de la tête de John. Celui-ci bredouille:
«Excusez-moi. J’ai confondu. J’ai exactement la même voiture. J’ai du la garer un peu plus loin en fait …»
John s’éloigne précipitamment. Il sait qu’il n’y a pas de doute. Il avait bien repéré le magasin en arrivant. Il hèle un taxi qui passe dans la rue et lui indique l’adresse de son domicile.

Lorsqu’il se trouve devant son pavillon il a un haut-le-cœur. La façade est sombre, tranchant nettement par rapport à celles des villas voisines toutes décorées dans une débauche de guirlandes multicolores et clignotantes. Que sont devenues ses décorations?

Il entre dans le hall. Des valises et des cartons de déménagements l’encombrent presque entièrement. Clara apparaît à la porte du salon. Elle le regarde et se met à pleurer doucement. Des mots qu’il a du mal à comprendre sortent de sa bouche, entrecoupés par les sanglots.
«Comment oses-tu revenir ici? Tu viens admirer le résultat de ton œuvre? Tu vois: les cartons et les valises sont prêts; le déménagement est pour demain. Nous partons pour l’Ohio. Va donc rejoindre ta traînée de Stéphanie. Ta place n’est pas ici!»
A ce moment Lucille sort de sa chambre. Elle se jette dans les bras de son père en pleurant. « Oh papa, pourquoi as-tu fait cela?» John est atterré. Il n’a pas de réponse à cette question. Freddy est là lui aussi. Son regard est dur et méprisant. Il ne pleure pas et ne prononce pas un mot.
John s’enfuit comme un voleur de sa propre maison. Il a l’impression de vivre un cauchemar. Trop de choses se sont passées en si peu de temps: la perte de son travail, le bar du Bout du Monde et ses univers parallèles, sa voiture qui ne lui appartient plus et maintenant ce drame d’une famille éclatée …
Un taxi passe par-là. Il lui fait signe. Une fois installé sur la banquette arrière il réfléchit: pourquoi Clara lui a dit d’aller retrouver Stéphanie? Il y a peut-être un changement radical dans sa situation professionnelle? Il est à peine 5 heures de l’après-midi; tout le monde doit être encore présent chez «Electronic Games» où les habitudes sont de quitter les bureaux plutôt après 18 heures.
Lorsqu’il pénètre dans le hall de l’immeuble la préposée à l’accueil lui fait un grand sourire.
« Bonsoir Monsieur Dewar, déjà de retour?»
Il monte à l’étage de la direction avec l’intention de voir Peter Dobbs. Seule la pièce de la secrétaire du patron, Miss Ratcliff, est éclairée. Il pénètre chez Dobbs et actionne l’interrupteur. Quelques cartons sont empilés dans un coin. Sur le bureau de Peter il n’y a plus qu’un téléphone. Plus aucun parapheurs ou corbeilles à documents, disparue la photo où on le voyait sur le perron de sa belle villa de Long Island, entouré de sa femme et de sa fille.

La porte s’ouvre derrière John et Stéphanie s’avance vers lui. Elle porte un chemisier en soie naturelle, tendu sur une poitrine à damner un saint; ses lèvres sont soigneusement maquillées et luisent à la lumière du néon. Son regard, malicieux et chaleureux, n’a plus rien de la froideur de celui de ce matin, alors qu’elle lui remettait sa lettre de licenciement
«-Alors John? Pressé d’entrer en possession de ton nouveau bureau?»
Elle s’avance vers lui et le coince contre la table ; son bras gauche entoure sa tête et ses ongles agrippent ferment sa nuque comme ceux d’une chatte retenant sa proie. Ses lèvres et sa poitrine se collent contre lui pendant que sa main droite caresse doucement son entre-jambe. Sans qu’il en ait eu conscience, comme mues par un mouvement autonome, les mains de John se sont glissées sous le corsage, à la recherche des seins de Stéphanie. C’est alors que des coups sont frappés à la porte. Stéphanie s’écarte et après une deuxième série de coups frappés, la porte s’ouvre sur Miss Ratcliff. Les yeux de cette dernière n’ont pas manqué de voir le désordre du chemisier de Stéphanie et la bouche de John barbouillée de rouge.
« -Je vous demande pardon. J’ai vu de la lumière dans le bureau de monsieur Dobbs et …»
John n’aime pas beaucoup miss Ratcliff. Lorsqu’il a eu ses ennuis elle n’a fait preuve d’aucune commisération, contrairement aux autres membres du personnels, y compris des collègues avec qui il était pourtant en compétition.
«-Puisque vous êtes là Monsieur Dewar, j’en profite pour vous rappeler la réunion de demain matin, à 10 heures avec les Allemands. Si je peux me permettre, Monsieur, je voudrais vous dire combien tout le personnel est anxieux de voir aboutir cette négociation de la dernière chance»… Et elle ajoute avec un sourire plein de sous-entendus égrillards qui détonne dans sa bouche de vieille fille: «Soyez en forme demain matin!…»
Décidément il faudra qu’il vire cette bonne femme dès la première occasion!
« -C’est noté miss Ratcliff. Je passerai vous voir à votre bureau avant de partir. Vous pouvez disposer maintenant.»
La porte s’étant refermée, Stéphanie, dont les ardeurs ont été refroidies par l’arrivée inopinée de la vieille fille, demande à John de passer la prendre dans son bureau.
« -Tu viens chez moi cette nuit ? Je t‘aménagerai un petit coin en attendant que tu aies trouvé un appartement.»

Stéphanie partie, John essaye de faire le point. Dans cet univers «parallèle» les choses ont l’air d’aller plutôt bien pour lui, au moins au plan matériel. Le voilà PDG d’«Electronic Games» et la splendide Stéphanie est sa maîtresse. Par contre rien ne va plus pour Clara et pour Dobbs. Il se rappelle alors de ses cours de faculté sur la théorie des jeux. Il y avait une théorie dite «des jeux à somme nulle». Selon elle la somme des gains des joueurs est égale - en valeur absolue - à la somme des pertes des autres joueurs. Peut-être devrait-il aller revoir Jo, le barman, pour qu’il complète ses explications sur les univers parallèles par cet additif intéressant?

Avant de partir, il veut interroger miss Ratcliff pour essayer d’apprendre ce qui c’est passé au sujet de Dobbs. Elle est assise à son bureau, désœuvrée, attendant sa visite.
«-Avez-vous des nouvelles de Dobbs?»
Les yeux fripés de la vieille fille s’emplissent de larmes à l’évocation de celui qu’elle a aimé en secret depuis des années. Comment peut-on être aussi cruel et cynique?
« -Oui, Monsieur. Je l’ai eu tout à l’heure au téléphone. Il a mis en vente sa villa de Long Island. Sa femme demande le divorce et il dort à l’hôtel en attendant de trouver quelque chose.»
Elle éclate alors carrément en sanglots. Malgré son antipathie, John tapote gentiment l’épaule de miss Ratcliff et lui offre un Kleenex. Il se sent magnanime. Peut-être attendra-t-il un ou deux mois avant de la renvoyer?

Il se rend ensuite dans le bureau de Stéphanie qui est déjà prête à partir. Le désordre de ses vêtements est réparé et ses lèvres brillent de nouveau.
« -Prenons ta voiture et laisse-moi la conduire, j’adore ça!»
La voiture en question est une splendide Mercedes coupé. Décidément il ne s’est pas oublié dans l’attribution des voitures de fonction.
Pendant qu’ils roulent vers l’appartement de Stéphanie, John la regarde encore avec admiration. Quelle différence de classe avec Clara! Ensembles, ils feront vraiment un beau couple de jeunes loups de la Nouvelle Economie! La pensée de ses enfants l’effleure un instant, mais il se dit qu’à 14 et 16 ans ils n’ont plus besoin de lui. Il versera à Clara une confortable pension alimentaire, ce qui écornera à peine son nouveau salaire de PDG.

L’appartement de Stéphanie est décoré avec goût. Dans le salon, une paroi est entièrement occupée par un meuble bar bibliothèque en bois exotique. Devant lui, un canapé et des fauteuils en cuir font face à une petite table basse sur laquelle des verres de cristal sont remplis d’un beau liquide brun, probablement son whisky préféré.
John jette un coup d’œil autour de lui. Il est censé être déjà venu dans cet appartement car ses relations intimes avec Stéphanie semblent dater d’un certain temps et elle le traite avec la familiarité qui prévaut chez les couples qui ont déjà une liaison établie. Des reproductions de peintures à l’huile décorent la paroi qui fait face à la bibliothèque. Les préférences de Stéphanie vont apparemment vers les peintres modernes, Kandinsky, Magritte, Chagall.

Une douce torpeur l’envahit doucement pendant qu’il sirote son whisky écossais, bien enfoncé dans son fauteuil en cuir. Stéphanie est passée dans la salle de bain et il a aperçu fugitivement son beau corps bronzé à travers la porte qu’elle a laissée ouverte, promesse d’une nuit torride. Le son électronique du carillon de la porte d’entrée fait sursauter John qui s’était presque endormi. Il faut dire que ses nerfs ont été mis à rude épreuve aujourd’hui !
Stéphanie, qui a passé une robe de chambre au-dessus de sa chemise de nuit transparente, va ouvrir.

Peter Dobbs, le PDG déchu, fait irruption dans la pièce. Il tient un revolver dans sa main. Il s’approche de John et sa rage éclate:
« -Fils de pute ! Tu as détruit ma vie. Tu as commencé par me piquer Stéphanie; ensuite tu as manigancé avec elle pour faire capoter la négociation avec les Japonais et t’acoquiner avec les Allemands qui ont exigé ma peau pour entrer dans le capital. Aujourd’hui je suis ruiné; Martha demande le divorce et je ne sais pas comment je vais pouvoir lui payer la pension alimentaire pharamineuse qu’elle demande.»
«Et je te trouve là, tranquille, en train de te prélasser sur ce fauteuil, en attendant de sauter Stéphanie! Des êtres comme toi ne méritent pas de vivre!»

En disant ces mots il appuie sur la gâchette.


John ressent une douleur fulgurante dans sa poitrine. L’impact de la balle de gros calibre l’a projeté par terre. Il est allongé sur le beau tapis persan et une vilaine tache rouge envahit lentement les beaux motifs tarabiscotés. Il sent que la vie le quitte lentement. Ses yeux ont de plus en plus de mal à distinguer les motifs du tapis. Alors pendant que la brume de la mort envahit son cerveau, un sourire un peu triste se dessine sur ses lèvres. Il vient de penser que, quelque part, pas loin d’ici, un John Dewar qui lui ressemble est rentré chez lui. Il le voit installé sur le canapé en velours un peu râpé du salon, sa femme assise près de lui, pendant que les enfants jouent dans leur chambre. A la croisée des chemins de l’Univers il a fait encore le mauvais choix !

Un commentaire »

  1. bonjour Nono au hasard de tes écrits, j’ai choisi celui-ci car il m’a fait penser à un dicton de mon cru “quand on sait quel chemin il ne fallait pas prendre, il est souvent trop tard”. je lirai les autres sans aucun doute.

    Commentaire par antranik21 — 28/02/2008 @ 11:53

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