Lettres Au Vent

05/09/2006

Insomnies 3

Enregistré dans : — Nono @ 23:20

Comment accepter l’inconcevable ? C’est ce que je n’arrive pas encore à croire aujourd’hui, après que tout cela soit terminé depuis longtemps. Malgré tout j’étais persuadé que l’âme de Nadya m’avait parlé et qu’elle le ferait encore comme elle me l’avait promis.

Ainsi commença pour moi cette longue série d’histoires que me raconta Nadya.

Nuit après nuit, l’inconnue de Garn Halfaya  fut fidèle à son rendez-vous. Comme Shéhérazade, qui ne racontait au Sultan qu’un fragment d’histoire chaque nuit, laissant la suite au lendemain, Nadya sut me tenir en haleine pendant ce trop court été de mes 15 ans. Elle alterna les récits de sa propre vie, tumultueuse, et ceux qui avaient cours à son époque, sur les croyances, la médecine, la politique ou simplement sur la vie quotidienne, tout cela étant transmis par le prisme de son esprit vif, curieux et sensuel.

Etant un pur esprit, comme elle me l’avait dit en préambule, elle ne voyait pas et n’entendait pas, ce qui la privait des deux principaux sens que nous utilisons. Plus tard, quand nos relations devinrent plus confiantes et prirent une tournure plus intime, je dus, pour satisfaire sa curiosité, aller devant la glace de ma chambre et m’y contempler longuement afin qu’elle « examine » mon image à travers mes yeux. De même, vers la fin, elle exigea que la communication mentale qui nous unissait, qui s’était jusqu’alors exercée principalement dans le sens d’elle à moi, s’inversât. Prise par une curiosité inhérente à son caractère elle me demanda de lui « raconter » comment le monde avait évolué. Je crois que ce qu’elle entrevit en lisant dans mon esprit sur la manière dont le monde avait changé, et notamment sa terre natale, aujourd’hui la Kabylie, suffit à accélérer son désir d’en finir avec sa présence terrestre.

Je me suis efforcé de respecter autant que faire ce pouvait l’enchaînement de son récit, malgré mon envie de le réorganiser pour le rendre plus compréhensible au lecteur. Chaque matin je consacrais une heure au moins à coucher sur le papier le récit de la nuit comme elle me l’avait demandé. Aujourd’hui je suis vieux et ma vie approche de son terme. J’ai repris toutes ces notes et les ai relues avec un œil critique. Ma formation, celle d’un ingénieur, ne m’a pas instruit sur ces périodes que les « littéraires » connaissent bien pour avoir transpirés longuement sur les versions latines. Toutefois, grâce aux capacités offertes par Internet et à mes lectures de quelques classiques, j’ai pu vérifier la précision et l’exactitude des descriptions que Nadya me fit de son époque. Certes quelques différences subsistent. Est-ce du à un défaut de transcription, à la méconnaissance de Nadya ou aux différences de modes de vie qui existaient entre celle de la capitale romaine et celle de la province numide ?

Ce qui peut sembler déroutant de  prime abord est l’absence de chronologie des récits.

Nadya suivait le cours de son esprit vagabond. Un mot évoquant un souvenir pouvait l’entraîner d’un jour à l’autre à travers le temps et l’espace, des rivages de sa Méditerranée natale au désert Libyen, de la période de son enfance à celle de son errance auprès des gladiateurs romains, sans qu’aucune logique ne relie ces évènements entre eux.

Après coup je me rends compte que cela ressemble à ces mosaïques romaines, dont il ne faut pas regarder les détails de trop près au risque d’avoir la vue brouillée, mais qui, avec le recul, laissent apparaître leur splendide harmonie d’ensemble.

 
 
 

 
Farniente
 
 
Ainsi débuta le récit de Nadya :
 

« Il faut d’abord que je te dise dans quelles conditions mes parents vivaient au moment où j’allais naître à ma vie terrestre. Mon père avait pour origine une famille noble « berbère » qui était apparentée à la famille de Juba II, ce grand roi de Numidie de l’époque d’Auguste, dont Pline l’Ancien était un fervent admirateur, à tel point qu’il le citait sans cesse dans ses livres et qu’il disait de lui : « qu’il était encore plus connu pour son savoir que pour son règne ».

Pour ma mère l’histoire ne remonte pas aussi loin. Elle disait qu’elle était la fille d’un métayer qui s’occupait des vignes de mon grand père dans la région de Tipasa. Mon père, qui accompagnait souvent le sien dans ses tournées afin d’apprendre l’agriculture, avait été séduit par cette fille brune au regard clair qui baissait les yeux devant les maitres mais dont les longs cils noirs cachaient mal la curiosité et l’intérêt. Je n’ai jamais connu son vrai prénom car je l’ai toujours entendue appelée « Masa » qui signifiait en langue berbère à la fois Dame et Maitresse, cette dualité correspondant bien à son personnage.

Je vois dans ton esprit une grande incompréhension. Les mots que j’imprime dans ton cerveau t’étonnent. Ils atteignent ton intelligence mais te laissent froid et distant, alors que chez moi ils vibrent de passion et de nostalgie. Je vais donc pour la circonstance changer la manière de communiquer avec toi : j’envahirai ton esprit totalement et, pendant tout ce temps, tu seras Nadya ! Tu verras par mes yeux, tu ressentiras ce que je ressentais à l’époque. Lorsque j’arrêterai tu auras fait un rêve : celui d’une tranche de ma vie.

Ainsi commença ce nouveau mode de communication qu’on peut qualifier de « totale » dans la mesure où ce n’était plus seulement des mots qui se formaient en moi mais les sensations physiques et les sentiments de Nadya. Elle en usa chaque fois qu’elle voulait que je « ressente » ce qu’elle avait vécu. Si nous, êtres humains, disposions d’un tel pouvoir de communication, le monde serait changé. Imaginez un instant une négociation entre deux antagonistes échangeant leurs pensées intimes : nul doute que la connaissance réciproque de leurs âmes changerait le cours de leur entretien. Et que dire des amants ? Leur union serait vraiment totale, bien au-delà de ces mots que leur passion les amènent à prononcer. Peut-être les progrès de la science et la connaissance de certaines drogues parviendront ils un jour à cet effet ?

Je ressentis tout à coup une sorte de « flash » dans mon cerveau. J’eu l’impression de basculer dans le noir un bref instant et de perdre ma conscience. Lorsque celle-ci revint « j’étais » Nadya ! Ce que je vais décrire peut donc être considéré comme « mes » propres souvenirs !

 

Un commentaire »

  1. Que dire ,on s’attend a tout ,l’échange du moi profond ,l’etre qui devient un autre pour communiquer ,que va t’en apprendre d’autre . luis

    Commentaire par LUIS — 09/09/2006 @ 19:49

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